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Les difficultés de lecture dans le contexte sociolinguistique djiboutien

  • Photo du rédacteur: La Caravane du Livre
    La Caravane du Livre
  • 20 mars 2018
  • 5 min de lecture

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En réaction à toutes les opinions communément partagées, la lecture n’est pas une aptitude que l’on acquiert uniquement dans un contexte scolaire. La plupart des spécialistes des sciences de l’éducation confirme qu’un enfant qui a été initié très tôt à cette aptitude, développe généralement une compétence de lecture plus élevée qu’un enfant qui découvre la lecture qu’en classe de CP. Pourquoi cela ? Cette question exige que l’on exploite les différentes phases d’apprentissage de la lecture.

D’une manière générale, l’apprentissage du langage écrit passe par trois phases distinctes mais successives : la phase logographique, la phase grapho-phonologique et la phase orthographique. La première phase, dite logographique, correspond au premier contact de l’enfant à l’écrit. Dans cette phase, celui-ci ne sait pas encore lire. Il se contente, à l’aide de certains éléments externes[1], d’identifier le mot comme il reconnait une forme dessinée. En procédant ainsi, l’enfant peut confondre les mots qui présentent une analogie graphique puisqu’il se limitera aux éléments externes de ces derniers et non à leurs particularités phonologiques. C’est à la seconde phase, dite grapho-phonologique, que l’enfant commence à prendre conscience des traits phonologiques des mots qu’il côtoie et qu’il arrive à les lire en associant leurs graphèmes aux phonèmes correspondants. Cette phase lui octroie ce qu’on appelle une conscience phonologique[2]. La troisième phase, dite orthographique, correspond à la phase dans laquelle l’enfant devient apte à reconnaitre un mot comme une entité à part entière, grâce à la formation progressive de son lexique orthographique. Il ne se contente plus de sa conscience phonologique pour lire adéquatement les mots dans la mesure où celle-ci peut être trompeuse quand on lit dans une langue comme le français. Doté d’un lexique orthographique développé, l’enfant reconnait le mot grâce à sa forme orthographique et ainsi relier ladite forme à la signification linguistique correspondante. C’est pourquoi il lira le mot wagon adéquatement et non comme la correspondance entre sa graphie et sa phonie l’exige. On s’aperçoit très vite, avec des mots pareils, que cette correspondance ne va pas de soi en Français. Et l’enfant djiboutien qui découvre la lecture dans cette langue peine à lire correctement ces genres de mots. Cela s’explique par deux raisons principales. La première raison se rapporte à la distinction des spécificités linguistiques de sa première langue et de celles du français. Celui-ci, s’étant habitué (même si ce n’est qu’à l’oral) aux traits phonologique du Somali, de l’Afar ou de l’Arabe, éprouve des difficultés non négligeables à intérioriser un autre système phonologique qui serait diffèrent de celui déjà acquis. Cette difficulté intervient généralement au début de l’apprentissage de la lecture où l’enfant n’arrive pas à décoder les mots à lire. La seconde difficulté, quant à elle, renvoie à la particularité du Français qui, à la différence de la plupart des langues latines, dispose d’un système orthographique complexe. Comme nous l’avons expliqué plus haut, la correspondance de la phonie et de la graphie dans cette langue n’est pas forcement systématique. Et l’enfant djiboutien qui a déjà du mal à intérioriser les traits phonologiques du Français s’aperçoit aussi que certains mots ne se lisent pas comme ils s’écrivent. Cet enfant développe un complexe de lecture et plus grave encore un sentiment d’insécurité linguistique qui l’empêche de lire ou de parler en public. C’est pourquoi il faut préalablement réfléchir aux conditions lui permettant de dépasser ce complexe qui peut même être durable. Il existe bien des étudiants universitaires qui ont toujours du mal à lire en public. Cela n’est en aucun cas dû à un déficit de compétence de lecture mais est le résultat d’un complexe de lecture qui a perduré.


Quelles perspectives pour remédier à ces difficultés ?

Comme nous l’avons expliqué précédemment, les deux difficultés majeures des enfants djiboutiens qui apprennent à lire, constituent l’ajout tardif du système phonologique du français et la complexité orthographique que présente cette langue. La première difficulté est d’ordre naturel. Pour remédier à la dite difficulté, il faudrait inculquer précocement ce nouveau système à l’enfant en même temps qu’il acquiert le système phonologique de la langue de son entourage. Comment cela puisse se faire ? La tâche ne demande pas un effort considérable. Il suffit que les parents mettent en place à la maison une routine de lecture qui consiste à leur lire régulièrement des petites histoires en Français ou d’autres activités de lecture qui les intéressent de près. Même si qu’ils ne savent pas lire à cet âge, ils apprennent cette aptitude en écoutant lire les autres. Cette écoute prolongée leur permet de prendre conscience des traits phonologiques de cette langue.

La seconde difficulté est d’ordre pédagogique. Elle survient lorsque la transition échoue entre la phase grapho-phonologique et la phase orthographique d’apprentissage de la lecture. Jusqu’à nos jours, aucune méthode permettant cette transition n’a été mise en place. La plupart des enfants djiboutiens qui apprennent à lire se limitent à la correspondance systématique de la graphie et de la phonie des mots qu’ils côtoient. Ce qui explique leur difficulté à lire correctement les mots irréguliers. Cependant, au même titre que la difficulté phonologique évoquée précédemment, la complexité du système orthographique du français peut être dépassée. Pour se faire, il serait primordial de mettre en place, à l’école, un atelier de lecture et d’orthographe qui s’adapte non seulement au niveau des enfants lecteurs mais aussi et surtout à la complexité orthographique des mots qui y sont présentés. Un enfant qui est régulièrement confronté à décoder des mots complexes n’aura pas le gout de lire. C’est une certitude qui va de soi.


Conclusion

En guise de conclusion, il est à noter que l’acte de lire dans une seconde langue que l’on apprend implique des difficultés non négligeables. Il faudrait non seulement s’adapter à son système phonologique mais aussi et surtout à la particularité orthographique des mots qu’elle répertorie. Si l’on souhaite que cet acte soit réussi, il s’avère nécessaire que le lecteur passe par les trois phases d’apprentissage de la lecture présentées précédemment. Si l’une de ces phases est négligée, cela impacte directement sa compétence de lecture[1]. A titre d’exemple, si la phase grapho-phonologique n’est pas prise en compte, le potentiel lecteur aura des difficultés à faire la distinction entre le son [P] et le son [b]. Je ne vous apprens rien en signalant que cette confusion est récurrente chez les (apprentis) lecteurs Djiboutiens.

Il va de soi que peu importe la connaissance grapho-phonologique du lecteur, celle-ci risque d’être insuffisante pour lire dans une langue comme le Français. L’irrégularité de son système orthographique nécessite aussi une connaissance orthographique solide. C’est pourquoi, il ne faudrait en aucun cas négliger la phase orthographique de l’apprentissage de la lecture.

Ces difficultés n’ont rien d’alarmant. A la différence des difficultés pathologiques de la lecture, ces dernières sont remédiables à condition que l’on mette en place les activités nécessaires à la remédiation de chacune d’entre elles. L’initiation au système phonologique du français doit être précoce chez l’enfant djiboutien qui apprend à lire dans cette langue. Pour se faire, il est du devoir des parents de mettre en place à la maison des routines de lecture permettant à cet enfant de prendre connaissance de l’organisation des sons du Français. Pour ce qui est de la complexité de son système orthographique, la mise en place, à l’école, d’un atelier de lecture et d’écriture à long terme peut favoriser le développement d’une compétence de lecture satisfaisante chez les enfants djiboutiens et réduire leur anxiété lorsqu’ils sont amenés à lire en public.

Par Hill Ismail Aden

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[1] Les éléments externes dont il s’agit sont la forme, les accents, et la longueur du mot en contact.

[2] La conscience phonologique est la capacité du lecteur à manipuler adéquatement les traits phonologiques de la langue dans laquelle il lit.

[3] La compétence de lecture renvoie à la capacité du lecteur à décoder adéquatement le mot à lire et accéder par la même occasion à sa signification lexicale. Quand ce même lecteur lit par exemple un texte, celle-ci renverrait à sa capacité de lire les mots du texte, à les comprendre et à comprendre notamment sa visée discursive. Ainsi définit, elle implique une compétence de production et de compréhension du langage écrit.



 
 
 

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